9 janvier 2016. Une enveloppe dans ma boite aux lettres. Je l’ouvre. Ma licence fédérale de pilote. Ça y est, c’est officiel, les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Dans la famille Croizon, on sabre le champagne pour la nouvelle année, en attendant les sables du Dakar. Objectif 2017 en ligne de mire !
Pour obtenir cette licence, il fallait que je parvienne à m'extraire du véhicule en toute autonomie en moins de 25 secondes, devant le médecin de la FIA (Fédération internationale automobile). Que l'on soit valide ou handicapé, c'est le même chrono. J'ai mis 15 secondes ! Ce précieux sésame « en mains », je peux enfin me lancer pleinement dans ce nouveau défi, en tant que pilote, épaulé par mon co-pilote, Mathieu Bouthet, qui a déjà quelques Dakar à son actif.
Malgré ma quadri-amputation, j'ai le soutien sans faille d'ASO, le comité d'organisation, qui affirme « m'encourager» dans ma préparation avec une « certaine admiration ». Et pourtant, ce n'était pas gagné. Récit de ma rencontre avec Etienne Lavigne, directeur de course du Dakar. Moi : « J'ai une idée, laisse-moi t'expliquer ». Lui : « Non, même pas la peine ! ». Et puis, au bout de 30 minutes. Lui : « T'as besoin de quoi ? ». Comme pour la plupart de mes autres défis, 99 % des gens diront que ce n'est pas possible, et pourtant !
Le Buggy confié par mon team manager, Yves Tartarin, est en pleine préparation (lire interviews ci-dessous). J'ai maintenant hâte de m'assoir au volant. Une dévorante envie de rouler, rouler, rouler. D'apprendre aussi. Au point que j'ai du mal à trouver le sommeil. Reste un petit « détail » à régler : le physique ! Reprendre l'intensité des entraînements, comme sur la Manche, m'y plier avec une discipline de fer. Je peux compter sur le kiné de l'hôpital de Châtellerault qui va me faire travailler les fessiers, les abdos, le dos... Assis dans un siège baquet, on n'en est pas moins sportif.
Une nouvelle fois, une équipe prend corps autour de moi. Je n'aurais jamais réalisé aucun de mes défis sans le soutien de ceux qui ont accepté puis partagé mes envies, parfois de pures folies. Je remercie tous ceux et celles qui, sur cette nouvelle aventure, croient en moi. Je pense, notamment, à ces dizaines de chefs d'entreprise qui m'apportent leur soutien. Chacun d'entre eux est une pièce maîtresse de ce challenge et je ne les décevrai pas.
Que 2016 soit une année magnifique pour vous tous. Soyons plus nombreux encore à rêver, oser, tenter. En ces temps tragiquement mouvementés, c'est aussi cela la liberté !
Un mécano expert couve, pour le moment, une voiture « en miettes ». Freddy Valade, un as du rallye raid, a la lourde responsabilité de préparer le Buggy Tartarin-Croizon.
Ça fait quinze ans que Freddy Valade est dans le rallye raid. Il a à peu près tout tenté : fabriqué des véhicules de course pour le Dakar, assuré l'assistance en motocross endurance, passé deux ans en Afrique du Sud pour Ford Ranger, travaillé pour Ferrari et aux Etats-Unis. Bref : un cador en mécanique. Mais sa botte secrète, c'est sa faculté à transformer le top des bolides en un amas de pièces détachées. Sans aucun scrupule ! C'est lui qui a la lourde responsabilité de « modifier et réviser » le Buggy de Philippe avant son départ.
Mi-janvier, la voiture est entièrement dépiautée. Freddy en profite pour installer quelques aménagements imposés par le nouveau règlement ou indispensables pour compenser le handicap de Philippe. Par exemple un embrayage automatique ou des vérins de lavage s'il venait à « se tanquer ». On traduit : si Philippe avait la malheureuse idée de s'ensabler ! Ce système permettra à son copilote, Mathieu Bouthet, lui aussi mécano, de se sortir tout seul de cette infortune. Et puis, il y a aussi la direction assistée hydraulique qui sera, par la suite, équipée d'un joystick. Le mécano expert a jusqu'à fin février pour remonter le puzzle ! Et sans se tromper, SVP.
C'est la première fois que Freddy intervient sur un véhicule destiné à un pilote handicapé. Mais, les défis, c'est son truc. Alors celui de ce fou du volant quadri-amputé, pourquoi pas ? « Pour moi, c'est vraiment intéressant car je vais pouvoir expérimenter de nouvelles technologies, comme la boite auto, qui équipent presque tous les véhicules de rallye aux Etats-Unis mais ont du mal à s'implanter en France, explique-t-il. »
Deux ans, c'est l'âge de ce beau bébé. Un Buggy dans la pleine force de l'âge. « La durée de vie d'un véhicule de course sur le Dakar, explique Freddy Valade, c'est entre un mois s'il est tout de suite ruiné et dix ans ». A ce régime-là, il doit être démonté et remis aux normes à la fin de chaque saison (de février à novembre). Mais le timing est court pour ceux qui s'engagent sur le Dakar en janvier. Le véhicule doit à nouveau être entièrement révisé. « Le Dakar, ce sont presque 9 000 km en 15 jours, poursuit Freddy, l'équivalent d'une saison ! Alors pas question de négliger la préparation. »
Denis Babin sculpte les carrosseries. Il doit apporter quelques modifications pour rendre de véhicule de Philippe compatible avec son handicap. Une commande plutôt rare dans le monde du rallye.
Denis c'est son prénom. Et Polyester son nom ? Pas vraiment mais c'est tout comme. Ni carrossier, ni tôlier ; pour sa spécialité, il n'y a pas de terme exact alors il se définit comme « concepteur et fabricant d'éléments polyester », un matériau plus souple à travailler que le carbone ou la tôle. Il le modifie, déforme, métamorphose dans son atelier de la Vienne. Le handicap, il connait un peu ; il a travaillé dans les side-cars et a déjà eu l'occasion d'en aménager pour des amis en fauteuil. « Depuis que je suis à mon compte, c'est vraiment un public qui m'intéresse, explique Denis ». Mais, évidemment, sur un Dakar, le Philippe n'est pas un client de tout repos !
Alors, pour que ce pilote du 3ème type soit tout à son aise, il a fallu regonfler les ailes. Philippe aura ainsi un meilleur angle de vision et évitera de taper un rocher. La porte conducteur a également été modifiée pour faciliter le transfert, avec un support inséré. Des capots latéraux ont été installés pour avoir accès au radiateur sur le côté. Du jamais fait ! « J'ai dû concevoir le modèle puis réaliser les moules. Sur le Dakar, il n'y a que des prototypes alors chacun fait sa bidouille ». Une bidouille d'experts malgré tout. Denis a déjà travaillé avec Yves Tartarin sur l'un de ses véhicules de course ; ce pilote chevronné continuera d'ailleurs à conduire « son » Buggy ainsi transformé.
Yves Tartarin, c'est le team manager, l'homme-orchestre de cette équipe atypique. Une légende du Dakar avec déjà 18 participations à son actif. Avec Philippe, il tente une énième folie.
Un jour, je reçois un coup de fil. Philippe Croizon au téléphone. On habite le même département alors, forcément, j'ai entendu parler de lui. Il m'explique son projet. Je connais les titres de gloire du monsieur ; lorsqu'il s'est mis en tête de traverser la Manche, il savait à peine nager. Alors, respect ! Et puis, bonne voix, bon feeling. Sans hésiter une seconde, je dis : « Banco ! Mais va y avoir du boulot.».
Le Dakar, c'est l'épreuve la plus difficile en termes de rallye raid. De toute façon, il faut être un peu fou pour y aller. Les gens « aptes » ont déjà du mal. Les statistiques le prouvent : à peine 50 % parviennent au but. Alors, en étant néophyte et avec un handicap, c'est sûr qu'on multiplie les difficultés. Mais je suis convaincu qu'avec un performer comme Philippe on va y arriver. Je le sens hyper motivé et, avec notre équipe soudée, on va soulever des montagnes. Mais que l'on soit bon ou mauvais, pro ou débutant, il faut toujours rester super humble.
En 2014 déjà, j'ai accompagné un pilote paraplégique, Albert Llovera (Andorre). Sur les trois dernières étapes, toute l'équipe a été son saint-bernard et c'est cela qui lui a permis d'arriver. Lorsqu'il a franchi la ligne, l'émotion était incroyable. Une de mes plus grandes satisfactions. Cette année, Albert repart. avec un camion. Il y a eu d'autres pilotes handicapés sur le Dakar, comme par exemple un ancien de la Formule 1. Mais c'est sûr qu'avec Philippe, les affaires se corsent un peu.
Philippe et Mathieu vont piloter mon buggy qui a déjà deux Dakar à son actif, les 24 heures de Paris et des épreuves en Russie. Quant à moi, j'en suis à mon 18ème Dakar, le premier en 1988. Avec Philippe, ce sera mon 19ème. J'ai fait trois Dakar en solo sans assistance. Ce sera un challenge de plus mais c'est vrai qu'il faut qu'on soit un peu timbrés pour se lancer dans un truc pareil. C'est ça le Dakar, il faut de l'insouciance face à un défi aussi énorme.
Sur place, je serai derrière lui, en tant qu'assistance rapide. Je suis également inscrit dans la compétition mais avec interdiction de le dépasser. Je serai en quelque sorte son « porteur d'eau ».
Eric Pasquay est orthoprothésiste. C'est lui qui conçoit les emboitures qui permettront à Philippe de piloter sa voiture. Entre eux, tout a commencé par des palmes. A l'époque, le futur nageur s'était mis en tête de traverser la Manche.
C'était il y a quelques années. Il cherchait un prothésiste pour réaliser des prothèses de jambes et de bras. La demande n'était pas banale.
En effet. Il s'était mis en tête d'apprendre à nager et de traverser la Manche à la nage. On n'avait jamais vu ça. Alors je me suis mis à l'ouvrage pour réaliser des emboitures de jambes sur lesquelles viendraient se fixer ses palmes. Ce ne fut pas une mince affaire et il a fallu s'y reprendre à plusieurs fois pour trouver la formule idéale. C'était un prototype qui n'avait jamais été réalisé..
Bah non ! Avec Philippe, on sait qu'il y a toujours un truc qui couve. Je lui ai quand même dit : « T'es taré ! ». Il m'a répondu : « Plus rien ne me fait peur, faut que je fonce ... ». Donc rebelote. Il faut qu'il soit parfaitement maintenu dans son siège. J'ai donc inventé une adaptation qui lui permet de bien caler ses moignons de jambe lorsqu'il est en position assise puisqu'il ne portera pas ses prothèses.
Oui, pas question pour lui de descendre de voiture pour la pause pipi. Il doit tenir jusqu'à 12 heures par jour et sera donc équipé d'une sonde urinaire. Il a fallu concevoir un petit caisson pour maintenir sa poche entre ses jambes.
Nous avons prévu, comme dans sa voiture « de ville », une emboiture pour y glisser son bras, qui lui permet ainsi de passer les vitesses et de se diriger.
Oui, un système d'attache rapide qui lui permet de désangler son harnais seul en cas d'accident ou d'incendie. Il y en aura peut-être d'autres au niveau de la conduite mais j'attends d'avoir le véhicule pour m'y mettre. Et, si besoin, on improvisera. Comme d'hab ! https://www.orthopedie-pasquay-vienne.fr/